À LA CROISÉE DES ÂMES

La Nature ne produit pas d’art, n’est-ce pas ? L’art surgit de l’imagination humaine. Soit par sa production, soit simplement par son regard sur les productions naturelles.

Un arbre, par exemple, tout magnifique qu’il nous apparaisse est en fait là sans intention à notre égard, ni à l’égard de qui ou quoi que ce soit ! Il est là parce qu’il est, comme nous sommes, sans être la création de quiconque (sauf peut-être de nous-même…). Pourtant notre regard sur l’arbre, ou notre regard sur nous-même, voire notre regard sur toute chose (objet ou sujet) transforme l’observé en œuvre : l’œuvre de notre observation, que nous allons attribuer presqu’inévitablement à une autre origine, la plupart du temps à une mystérieuse puissance créatrice transcendante. Est-il nécessaire de nommer les innombrables concepts inventés pour cela ?

Je vous propose plutôt de nous concentrer sur cette projection immédiate qui fait que nous accordons une valeur à tout ce que nous observons : de la pire, la valeur « zéro », pour ce que nous négligeons, ce que nous oublions aussitôt, aux valeurs les plus fortes, que nous allons appeler « beauté » ou « laideur ». Bien sûr, sur toute la hiérarchie de jugements, les mots seront moins précis, pas toujours conscients, et parfois l’ambivalence l’emportant, il sera difficile de savoir ce qui l’emporte : dégout ou inclination, amour ou haine, attirance ou rejet… Mais l’intensité de l’attraction dès lors que nous sommes sortis de l’indifférence, caractérise notre présence à notre observation, et ne pouvons échapper à cette nécessité de jugement esthétique, voire moral. Une fois que nous avons fait naitre cette valeur, en transformant en Art le fruit de notre observation (par la photo, la poésie, la peinture, la sculpture, …ou notre regard), nous y sommes confrontés : l’émotion vécue d’un instant est fixée. Nous pouvons y retourner encore et encore : admirer l’œuvre, ou la déprécier, ressasser ce qui nous touche, agréable ou désagréable, piégés dans cette fascination avec une certaine satisfaction.

Car, au fond, le discours intérieur qui émerge face à ce qui nous a touché est secondaire au regard du ressenti ; il semble être plus un filtre sécurisant que l’expérience réelle. Ne pourrions-nous dire que la fonction de l’œuvre d’art est de provoquer des émotions pour contacter en priorité notre subconscient ? Celui-là prend alors la direction de notre mental pour déclencher l’apparition de nos figures intimes et de nos archétypes. La pareidolie, considérée comme une illusion, est de fait un phénomène inévitable, et ne se cantonne pas à la recherche de visages ou d’animaux dans toute forme imprécise : elle touche à mon sens toutes les sphères de la perception, y compris celles de l’audition et du toucher. Mais elle ne se met en route que dans le cadre d’un décalage avec le banal. Il faut un « trop » ou un « pas assez », il faut une imprécision, il faut un doute. N’est-ce d’ailleurs pas dans le flou de l’approche incertaine, dans le contact ténu, que se manifeste le désir, moteur et charme de la vie ?

 Dans la qualité spécifique de cette incertitude, se manifeste la puissance de l’acte de création. Acte de création qui n’est pas un acte outrancier et arrogant qui mettrait l’artiste dans la posture d’un être omnipotent, mais un acte intime, plein d’humilité. Il accepte de dévoiler une part de lui-même qu’il se sait incapable de contenir et de maîtriser, et prend le risque de le donner à autrui, l’inconnu. Des personnes diverses, par leur origine, leur sensibilité, leur vécu peuvent ainsi se rapprocher. Leurs aspirations profondes, lorsqu’elles ne sont pas enfermées dans la rigueur de la perfection, dans l’exactitude de la définition exacte, sont alors partagées, à la croisée des âmes.

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