L’EFFACEMENT, UN ACTE D’APPROBATION INTIME
Qui n’a pas souhaité effacer des parties de ses pensées, des parties de son passé ? Tenté de faire un tri de ce qu’il veut conserver et de ce qu’il veut oublier ? Souvent hélas, la tentative d’oubli se solde par une présence encore plus forte et plus douloureuse de ce qu’on voulait faire disparaitre…
On n’efface pas d’un coup d’un seul ! L’effacement est un processus, une opération de deuil progressif, une opération de révélation qui ne fonctionne que si nous reconnaissons la valeur de ce qui a été vécu, agréable ou désagréable.
Sinon, comment accepter que cela disparaisse ? Lorsque je reconnais l’intensité et la qualité de l’expérience dans sa plénitude, les lambeaux du passé réaniment de puissants souvenirs : s’il ne sont apparemment que virtuels, il n’en sont pas moins extrêmement présents !
Observer ce processus fait apparaitre la valeur de l’action du temps, lorsque l’invisible se révèle dans la place dégagée par l’effacement.
La poésie ne procède-t-elle pas également de l’effacement pour révéler ce qui est caché ? L’élision gomme l’habituel, l’évidence de la perception nourrie des répétitions quotidiennes, pour faire surgir le doute, l’ambiguïté. Dans cette incertitude, les idées, les images, les aspirations cachées apparaissent sans pouvoir être rejetées totalement.
En définitive, l’effacement est une technique pour manifester notre ambivalence dans la certitude de la présence de la matière et l’incertitude de la présence de l’invisible. Dans sa présence manifeste, la matière nous échappe dans son altérité absolue. L’effacement fait entrer en jeu un temps incertain (l’effacement parle-t-il du futur ou du passé ?) qui rend imaginables d’autres formes et d’autres textures : notre esprit peut alors prendre le pouvoir créateur et assimiler le réel selon ses propres désirs !
Sur l’océan démonté, l’écume dessine des lignes éclatantes de lumière, instables et persistantes. Portée par l’élan des vagues elle est la trace de leur disparition, l’ultime signal de ce qui vient de disparaitre absorbé par le vent et l’espace ensoleillé. Pourtant, dans notre rétine puis dans notre mémoire, elle persiste longtemps, plus marquante que les vagues elles-mêmes. Elle imprime dans notre esprit la puissance de la houle, exacerbe la force destructrice de la masse des vagues en mouvement. Cette dissolution révèle plus qu’elle n’efface.
L’écume au sommet de la vague est-elle encore la puissante énergie du courant, ou la délicate caresse de la lumière sur la bruine ?
La dentelle insérée dans un tissu réalise le même exploit. Le tissu se défait de sa continuité opaque, pour laisser apparaitre des vides révélateurs : le grain, la douceur, les courbes de la peau qui est derrière sont sublimés par cet effacement. Pour cela il faut une transformation de la matière, qui se structure en formes révélatrices : l’intention mise en œuvre par l’artisane de cacher et montrer simultanément nécessite une transmutation, du continu au discret, comme une condensation du matériau.
Finalement, il ne reste que l’essentiel, la gestalt, mais comme une trame vivante, mais hésitante : veut-on révéler la présence de la chair admirée, ou seulement l’esquisser avec pudeur ?
L’effacement sert en fin de compte à faire apparaitre l’autre, l’espace que cachait la plénitude de la matière : l’absence, ou bien ce qui est caché, deviennent présents, très présents, guidés avec subtilité vers la conscience.
L’effacement peut encore se révéler d’une autre manière : quand le chanteur soliste s’efface à l’intérieur d’un chœur, diluant les particularités de sa pâte sonore dans le son du pupitre et même du chœur, son émotion personnelle diminue au profit de l’ensemble vocal. L’égrégore ne révèle un ensemble d’harmoniques qu’à la condition sine qua non de cet effacement des individualités.
Dans ce cas, l’effacement nous guide vers l’universalité. Comme l’œuvre d’un artiste qui offre les qualités d’un rêve partagé par tant de personnalités différentes, et non plus l’unicité d’un objet, d’un paysage, d’une personne. Les oublis, les imprécisions, les effacements, libèrent une place pour une révélation des aspirations des êtres vivants : réalisées ou non réalisées elles existent d’autant plus qu’elles ne se révèlent que dans une élégante imprécision… une imperfection parfaite.
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