LE TEMPS SUSPENDU

En vacances quelques jours à Nantes, j’ai effectué avec une amie « le voyage à Nantes », parcours d’œuvres d’art semées dans la ville, en extérieur et à l’intérieur d’expositions permanentes. Malgré la disparité de la qualité des œuvres présentées, parcours passionnant, car il m’a permis de découvrir la ville dans une autre perception. Dans cette perception décalée, le temps est découpé en périodes de banale appréciation de l’observation d’une ville agréable avec ses monuments, ses places, ses quais, ses rues piétonnes et ses passants, mais sommes toutes peu surprenante, et des interruptions provoquées par la rencontre avec les « œuvres » !

Tout à coup, on sort de l’évidence de notre rapport à notre environnement. On est choqué. Cette sculpture, là devant nous n’est pas normale ! Belle ou laide, elle s’impose à nous dans son incongruité. Parfois ce n’est que sa manifeste inutilité, parfois sa beauté ou sa laideur, qui nous fait marquer le pas. Mais si nous ne nous détournons pas immédiatement, si nous nous questionnons, c’est que nous sommes touchés, au point de rentrer dans un autre temps. Celui du ressenti tout d’abord. La sculpture se manifeste par son intensité. Ce qu’elle nous offre n’est pas banal. Soit parce que c’est hors d’échelle, soit par la nudité inhabituelle d’un personnage, soit par la présence d’êtres fictifs.

Nous voici rentrés en collision avec une œuvre. Nous recherchons peut-être uniquement à comprendre ce qu’elle nous dit, ou à comprendre l’intention de son auteur : pour la valider ou lui en faire le reproche ! Car parfois les œuvres sont accompagnées d’un discours justificatif long et ennuyeux, parfois un simple titre manifeste l’intention de l’auteur. Mais cette sculpture n’est-elle pas réalisée pour dépasser tout discours et nous toucher, non par des explications alambiquées, mais pas sa puissance expressive ? Il m’a semblé que plus le discours était long, moins l’œuvre me touchait : peut-être ne lisais-je le cartel que pour essayer de comprendre comment on justifiait un objet si grand, si cher et si peu intéressant…

L’œuvre produit par elle-même des émotions. Des avis aussi se présentent à notre esprit. Et elle interagit avec l’environnement, et nous sommes interpelés par le contraste avec la vie courante qui s’écoule autour. Sa statique (ou parfois sa répétitivité) sont en rupture avec la logique des activités humaines liées à des objectifs immédiats. Son existence même à cet instant de rencontre est un défi à la vie sociale, allant jusqu’à braver des interdits : ce nu ne révèle-t-il pas une sensualité interdite, ce totem n’approuve-t-il pas une religion insensée ?  Si les sculptures de nos jardins publics sont bien souvent peu visibles, c’est qu’elles représentent des injonctions du pouvoir en place de bien rester sagement à notre place. Pas de subversion, pas de tempête émotionnelle : il s’agit de montrer aux passants à quel point tout est en ordre. L’art d’aujourd’hui, en lutte contre l’hypocrisie du discours ambiant, veut retrouver une fonction perturbatrice, qui révèle nos ambivalences.  Cela est merveilleux, tant que la rencontre avec l’œuvre d’art est une aventure, ou notre monde intérieur apprivoise de libres émotions. Cela est ennuyeux, lorsqu’elle devient une leçon de bien-vivre.

« Demain, l’art sera dans la rue Monseigneur, l’art sera dans la rue » chantait Henri Tachan : serait-ce pour nous permettre de sortir du flux, nous donner accès, dans la tempête ou le silence, à l’instant sacré de la méditation ?

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COMME CE CYGNE QUI NAGE SUR NOTRE ÂME TROUBLÉE…

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